Avant de les apercevoir, il me fallait bien remonter en toute illégalité le chemin qui borde la mer. 

J’ai découvert hier que le soleil faisait pousser aussi vite l’herbe qui ne peut être tondue dans mon jardin, que les vacanciers arrivés de nulle part. 

Ils sont sortis de terre, plutôt de dessous le bitume, droits comme des piquets et  déambulent  fiers  de leur privilège d’être ici sur la grande esplanade de l’Entonnoir.  

Il n’y a pas si longtemps j’étais l’une deux, de passage, sans doute sans attention. 

Certains parlent fort,  d’autres font les cent pas,  les shorts et débardeurs trop petits s’affichent avec fierté sur les peaux blanches de l’hiver.  LE SOLEIL EST BIEN ARRIVE.

Heureusement, ils sont à l’identique des fleurs de nénuphars qui éclosent sous la chaleur du soleil et à cette heure très matinale, au début de l’aurore il n’y a PERSONNE.  

Personne à croiser, à regarder, à entendre. 

Pourtant, je ne suis pas seule.

Ils sont là. Ils n’attendent rien, posés un peu plus loin au-delà de la limite autorisée. 

Alors, je parie sur le  sommeil des hommes pour poursuivre  tranquille, mes déambulations de petit matin, marcher jusqu’au bout de la jetée de pierres vertes.

Je connais bien maintenant ce chemin parcouru tant de fois cet hiver,  quand le froid mordait mes joues. Le vent alors glissait à mon oreille « rentre chez toi, dans la chaleur de ta maison, il fait si bon ». 

Mais, je poursuivais mon chemin pour, comme à chaque fois, me sentir vivante dans les éléments. 
Vivre le vent, vivre l’infini de l’horizon, vivre le ciel étoilé, vivre la simplicité d’être en attente d’une lumière naissante. 

Nul besoin d’une carte bancaire pour s’offrir le spectacle chaque jour renouvelé par la nature. 
Il suffit de regarder.

Je poursuis ma route au même rythme que la course du soleil. Il pousse avec ses rayons le bleu timide de l’aurore. Sur la crête de la pénombre, il glisse avec douceur. 

Un vol de canards arrivés de la Baie de Somme ou encore plus loin du Pays de Caux me dépasse. 

Le V de leur silhouette  avance  avec détermination ; eux, ils savent où ils vont et ne prêtent pas attention au phare qu’ils ignorent.  

Le sable échoué sur le chemin remplit mes chaussures et amortit mes pas.  

Rien ne trouble le silence, pas même les mouettes absentes ; elles sont absorbées à grappiller plus loin, dans le sable humide de la marée descendante, les coquillages échoués. 

La silhouette épurée des plantes maritimes casse la ligne d’horizon. 

Le soleil entame une apparition à pas lents sur le grand nuancier du ciel.

La marche matinale apporte à la pensée le temps et le rythme nécessaires au préambule d’une journée. Mon esprit vagabonde, rebondit sur une image, se met en route dans la perspective des envies, s’accroche à ce qu’il doit entreprendre, aux attentions qu’il ne doit pas omettre,  aux intentions bienveillantes  et aux engagements qu’il se doit de respecter, aux rébellions qui doivent l’animer et aux errances qu’il doit s’accorder.

L’aurore produit ce miracle : tout paraît réalisable dans le champ des possibles. Le ciel se teinte de lilas. La lune toujours présente n’est plus qu’un petit confetti couleur de nacre,  abandonné par les festivités de la nuit.

Marcher, juste marcher, être dans ses pensées, se ré-accorder avant l’omniprésence d’un  jour qui s’annonce éclatant de blancheur.

Bien calée dans ma marinière, un grand tissu bleu en guise d’écharpe, mon coupe-vent  pour retenir la brise, j’avance. j’avance à grands pas lents. 

Sous les feux de la rampe, deux grands projecteurs, la lune et le soleil, se disputent l’éclat des premières lueurs du jour. 

La lune fait sa révérence dans une palette élégante de teintes rosées, quant au soleil, il réchauffe mon regard en posant des touches Terre de Sienne sur le sable mouillé. 

Le froissement des flots qui descendent me parvient. La mer se retire, elle se précipite vers le grand large, en glougloutant entre de fines vaguelettes. 

Ils sont là. 

Les pierres vertes de la jetée sont couvertes d’algues oubliées. Gorgées d’eau, elles mettent en péril chacun de mes pas sur l’arête des pierres glissantes. 

L’odeur d’iode est forte, intensifiée par l’eau de mer qui stagne entre les pierres. 

Je saute de  pierre en pierre. Mes pieds glissent dans mes chaussures remplies de sable. je suis mal assurée, mais  je veux les rejoindre. 

Je remonte la jetée. Allez, encore quelques mètres, m’approcher, mais pas trop pour ne pas les déranger. 

Ils sont tous là, dans les premiers rayons du soleil.  
Ils se réchauffent sous les effets bienveillants du soleil d’un nouveau jour. 

A bien  les regarder, on ne sait trop de quel animal il peut s’agir.

Quelques uns sont déjà à l’eau, s’agitent, s’éclaboussent, disparaissent pour attraper les poissons portés  par le courant. 

Pas de chance les poissons, nous ne sommes plus le 1er avril. Nagez vite, rejoignez à toute vitesse 
la haute mer, si vous ne voulez pas être servis à leur table de petit déjeuner.

Le jour est maintenant bien levé, le confetti de lune a maintenant disparu. 

Je reprends  ma marche vers le retour. 

Avec un peu de chance le boulanger mal luné a déjà ouvert  sa boutique.  Commencer une nouvelle journée avec le délice d’un croissant…