Il est temps pour moi de vous parler de mon unique compagnon de confinement.
Il s’agit d’un chien, pas n’importe quel chien. Pour certain c’est un petit chien à sa mémère, pour d’autres une bestiole qui remue, toujours contente dès que je lui donne les restes d’un pot au feu (divin et surtout cuisiné par
moi-même), pour d’autres ce n’est rien, pour moi c’est mon chien. Pas dans le sens de la possession, mais nous faisons un bout de route ensemble.
Je vois d’ici votre regard attendri en voyant ma bestiole calée sur le porte-bagage de mon vélo ou bien moqueur du ridicule de promener un chien de cette façon. ..et vous n’avez pas tort…
Ca c’était avant ! avant le confinement quand l’été laissait échapper les chaleurs de la terre, l’odeur de la
paille sèche, le temps de la bicyclette insouciante. C’était le temps… où je pensais que mon chien -au passage,
son nom est Hanoï- semblait une petite créature sans défense, une peluche qui ne demande qu’à être
câlinée.
Mais voilà… maintenant Hanoï, comment vous dire. Hanoï s’est transformée en « serial killer »…je
devrais plutôt dire « serial killeuse », oui car Hanoï est une femelle. Fini le petit toutou ! maintenant
Hanoï est une chasseuse.
Je n’ai rien vu venir, jusqu’au jour où… jusqu’au jour où je les ai découverts… ils étaient là, planqués dans
son panier… inertes… vidés de leur ouate… il ne restait d’eux qu’une simple enveloppe informe…
méticuleusement, avec un sang-froid, imperturbable, elle les as tous occis, vidés de leur substance.
Adieu petit cochon rose tout dodu, souris moelleuse et peluche de phoque (produit spécialement conçu
pour les nombreux touristes qui se pressent pour les admirer dans la baie). Pas de pitié !!
Fini le gentil petit chien à sa mémère !!! gare à vous, les pet’s peluches, Hanoï rôde et si vous avez le
malheur de la croiser… courez vite et ne vous retournez surtout pas !
Imaginez-moi depuis sept jours enfermée avec Hanoï.
Cela fait maintenant trois jours qu’elle n’a pas quitté la maison… oui, je sais, je fais partie de ces rares
privilégiées qui peuvent sortir car elles ont une bestiole à promener. Mais l’os à moelle du pot au feu n’a
plus suffi, courir après les taches de lumières projetées par le soleil ne l’a plus amusée : il lui fallait
sortir, vite avant qu’elle ne se déchaine sur une nouvelle victime innocente.
Je la voyais bien depuis ce matin, bien campée dans son escalier, guettant ses proies éventuelles à
travers la vitre (qui soit dit en passant étant inaccessible n’a jamais dû être nettoyée depuis la
construction de la maison en 1903). L’épais brouillard de saleté ne suffisait pas à fatiguer son œil avisé
Il me fallait vite sortir ! Je m’étais pourtant promis de ne pas aller jusqu’à la plage. Juste 300 mètres me
séparent du bel horizon qui me fascine tant. Toujours le même et jamais pareil.
Comment me retrouver devant tant de beauté, devant cette étendue de sable désertée, me retrouver
dans une belle harmonie alors que tant de drames et de solitudes causées par ce fichu virus sont le quotidien de
tant d’autres.
Pourtant je suis sortie.
J’ai quitté mon refuge de confinement pour poser mes pas sur la route qui remonte jusqu’à l’étendue de
miel et de bleus.
Elle était là, la plage, belle comme jamais ! le vent avait dessiné des risées délicates lui donnant l’allure
d’une peau d’éléphant. Un mince filet bleu bordait l’horizon…et puis le silence.
Même les mouettes qui jacassent sans cesse avaient déserté les lieux.
Nous avons longé le bord de mer, peu de temps pour ne pas abuser de cette si belle liberté.
L’air était vif, la ville abandonnée.
La plage interdite avait retrouvé ses droits. La marée basse n’avait pas encore effacé les traces du vivant.
Une brise arrachait avec douceur le sable en surface. C’est étonnant cette sensation d’être dans la ville et
dans l’absence totale de mouvements.
Uniquement toutes les petites traces laissées par les animaux : un chien errant sans doute, toujours le
même, des oiseaux, quels oiseaux, d’ici, d’ailleurs, migrateurs ou moineaux ?
Des pas délicats, d’un passage en légèreté, pour ne pas déranger, pour ne pas se faire remarquer.
Les animaux sont comme cela.
Je serais bien restée là sans bouger à profiter de ce moment unique et étonnant, mais Hanoï m’a rappelée
à la réalité de cette escapade qui se devait d’être de courte durée.
Nous avons pris le chemin à l’envers et longé les maisons devenues habituelles, celles qui ont des noms.
Ils sont comme cela ici ; les maisons ne sont pas des simples maisons, elles s’appellent « Mon Rêve »,
« Ma Belle Echappée », « Amélie » ou « Thérèse et Raymond ».
Nous avons accéléré le pas, mon laissez-passer de dame qui promène son chien, bien plié dans ma
poche. Il y a beaucoup de chiens qui sont promenés en ce moment…
Il y a un mot laid qui est apparu aujourd’hui « couvre-feu ».
Laissez-passer, couvre-feu, quels sont ces mots étranges d’une autre époque que l’on croyait disparue,
figée dans les dialogues d’une pellicule de film en noir et blanc.
Nous avons oublié comme il était bon d’être libre d’aller et de venir, et comme il était tout simplement bon
de sortir le nez en l’air sans contrainte.
Mon monstre s’est calmé, nous sommes rentrés. Demain sera une autre journée… c’est étonnant comme
le temps semble s’écouler si lentement maintenant.