Le sac de sable c’est moi… moi ce matin en train de m’essayer sur mon tapis de Yoga à reprendre, à réapprendre les leçons de Lara.
Lara est la version brune de l’héroïne du Docteur Jivago. La même douceur dans le geste, dans la parole, la même élégance, la même facilité par des années de discipline du corps, à se glisser harmonieusement dans le monde.
Ce matin, j’ai ressorti mon tapis, en mousse, mousse synthétique, sans odeur, sans texture , rien à voir avec le moelleux de la mousse des bois.
Le mien est rangé dans une housse faite d’un morceau de wax ramené du grand marché de la lagune
de Cotonou. J’aime cette sensation que chaque objet, même le plus insignifiant, puisse me faire voyager dans ces lieux visités et tant aimés.
Mes pensées sont toujours vivaces et vagabondes, ancrées juste l’espace d’un instant dans le seul lieu de mes départs. Elles sont toujours prêtes, au premier déclic, à partir au-delà de l’horizon de mon quotidien.
Il y a toutes sortes de voyages et dénouer le nœud de ce pagne me fait naviguer des côtes du Golfe du Bénin jusqu’aux sources du Gange.
Rishikesh, la ville sainte du nord de l’Inde. Chacun s’y presse.
Ici au bord du Gange, j’ai posé sur les eaux brunes et glacées, mon offrande aux dieux : une feuille de bananier, garnie d’une lampe à huile, de fleurs, chargée de vœux.
Mes pieds nus glissent sur les marches usées des Ghats. Je suis mal assurée, alors que les hommes s’enchaînent devant moi pour ne pas être emportés par les courants du fleuve, ce fleuve fort de sa descente des pentes de l’Himalaya.
La frêle embarcation s’éloigne… elle a commencé son voyage chaotique à l’issue fatale sur les eaux tumultueuses, à l’identique de celui du « Petit soldat de plomb » du conte d’Andersen (conte que j’adorais, dont la fin est terrifiante et d’une tristesse à pleurer comme un hiver sans feu).
Je suis restée là, les pieds glacés par les eaux, à regarder la faible lueur s’éloigner, parmi tant d’autres. Je l’ai regardée disparaître dans la nuit.
Sur les rivages, l’annonce du coucher du soleil, faisait gronder l’excitation des pélerins.
Chacun se pressait pour avoir la meilleure place.
Les prêtres en grande cérémonie au milieu de la foule entament des chants qui se perdent dans la nuit.
A grands coups de trompes, leur souffle puissant s’engouffre dans les conques nacrées : ils réveillent la lune.
Ils somment la course du temps de laisser sa place à la nuit. Ils remercient les dieux pour ce nouveau jour vécu. Ils demandent la protection pour la nouveau jour, celui du lendemain.
Chacun attend l’arrivée de la lune, au milieu des fumées d’encens odorantes, des chants puissants, de la brise glacée apportée par la nuit, une nuit d’un bleu intense.
Ils sont tous là : Les yogis purifiés par leurs ablutions dans le Gange, les hommes au crâne rasé qui portent les cendres de leurs défunts, les femmes aux saris colorés qui s’estompent dans la pénombre naissante. Je trouve ma présence incongrue, mais personne ne me prête attention.
Dans ce grand rassemblement de la dévotion, l’Homme n’est plus une individualité, l’Homme est un
tout de l’univers.
Les chants entonnés à l’unisson de cette communion se perdent.
Les oiseaux se sont tus depuis longtemps, ils n’avaient plus leur place dans cette explosion de bruits et de musique.
La lune apparaît et sonne la dispersion. Elle apporte avec elle le silence.
Les nuages se gonflent des reflets de la lune. Tout redevient comme avant.
Au petit matin, le ballet des pèlerins reprendra, encore et encore, chaque jour, aussi longtemps que
les eaux du Gange descendront gorgées des neiges de l’Himalaya.
Dans ce coin du monde, les Yogis continueront dans l’éternité des jours qui n’en finissent pas, leurs exercices de lianes souples, leur corps affranchi, l’esprit libéré.
Dans mon petit matin d’ici, je quitte mon voyage éphémère et virtuel en Inde avec l’image de cette famille d’Amritsar, priant au bord du temple d’or, les pieds nus sur le marbre blanc glacé et mordant, et de cette femme qui veille sur le taureau Nandi.