Elles sont toutes les deux à se reluquer du coin de l’œil.
Dehors, c’est la tempête. La pluie claque sur le toit, les fils électriques ont été abandonnés par le couple de tourterelles.
D’ailleurs, tous les oiseaux se sont planqués.
Les arbres ont pris un teinte vert bouteille sous les effets du ciel d’orage.
La pluie d’automne est glacée comme un dimanche après-midi triste.
Personne ne s’aventure dehors. Le vent souffle les millions de particules de sable dans des volutes frôlant le sol, balaye toute présence. Il pousse tellement fort, avec une telle densité, dans le dos des passants, que certains audacieux pourraient s’asseoir dans le vent.
Un homme au loin, accroché à la ligne d’horizon longe avec son compagnon la marée basse.
Le sable mouillé pèse de tout son poids permettant aux grains colmatés les uns au autres par le sel, d’être plus forts pour résister à l’envol de la tempête.
Les coquillages immobiles sont indifférents à ce souffle démesuré ; ils font le dos rond aux grains qui polissent leurs fines rainures.
Comme il fait bon d’être chez soi.
Hey oh, toi là-haut, je t’appelle ! Oui toi la petite bleue.
Je n’y crois pas elle ne daigne même pas tourner son bec vers moi.
Ohé, Ohé, Ohé…
Je rêve ou elle ne m’entend pas…
Ohé, Ohé, Ohé
Oui, regarde là, en bas, c’est moi avec mon ventre dodu.
Allez arrête de m’ignorer ! je sais que je suis un peu impressionnante, mais pas de ça entre nous.
Pour une fois, on pourrait peut-être se parler.
Tu es une Immobile ou quoi ?
Allez, boudes pas, je sais que je n’ai pas été très sympa avec toi quand je t’ai traitée la dernière fois de vieille casserole du désert, mais bon, ce n’est pas une raison pour ruminer toute seule là-haut.
Allez, tourne-toi , un tout petit peu, un effort regarde-moi.
Ah quand même !
Tu veux quoi, des excuses. Et puis quoi encore. Tu ignores qui JE suis !
Je suis LA théière par excellence. Alors je veux bien échanger quelques mots avec toi, car vraiment là on s’ennuie un maximum, mais il ne faut quand même pas abuser.
Tu me dis que je peux rester là où je suis, que je suis gonflée de prétention, que je peux aller au diable.
Espèce de moustique, et bien reste là-haut toute seule, qu’importe.
Quand même elle se prend pour quoi, elle oublie d’où elle vient !
Moi, Messieurs, Mesdames, je suis née en France chez un orfèvre de Paris, dans les grands ateliers Christofle. Au début j’étais un rêve, puis un dessin avant de prendre forme sous le savoir-faire d’un artiste. Il m’a modelée, il a frappé mon métal, m’a ciselée, gravée et ornée d’une fleur élégante ; je suis tout simplement magnifique !
Alors l’autre punaise là-haut, elle peut rester à se morfondre.
Il ne me reste plus qu’à regarder par la fenêtre le vent qui décroche les feuilles des arbres.
Bon, cela fait déjà un petit bout de temps que ça dure.
Et vas-y que ça virevolte d’un côté, d’un autre, et moi je m’ennuie.
C’est dimanche. Qui aime les dimanches après-midi ? Pas moi en tout cas, sauf quand les amis arrivent et que l’on remplit mon cœur de thé parfumé.
Alors je les regarde, assis, autour de moi, je suis le CENTRE du Monde et j’aime cela. Mais il n’y a plus personne qui vient aujourd’hui.
Hey, le microbe, oui toi là-haut.
D’accord, tu as gagné. Je m’EXCUSE de t’avoir traitée de casserole du désert.
Allez viens, elle est en train de préparer des petits gâteaux aux amandes. Rejoins-moi dans ma loge, tu verras mieux.
Enfin il se passe quelque chose !
Approche tout près à côté de moi, on va regarder comment elle s’y prend.
Elle a préparé ses ingrédients.
Oh non, elle repart… décidément on n’a pas de chance.
On est là maintenant comme deux cloches.
Oh non ne remonte pas, reste avec moi, en attendant son retour.
Tu ne veux pas me raconter une histoire ?
C’est comment là-bas, chez toi, là où tu es née ?
Viens plus près, viens tout contre, avec ton petit bec je n’entends pas les mots que tu chuchotes.
« Je suis d’accord, je suis toute petite, je suis juste émaillée de bleu. Mais ce bleu, c’est la couleur des ciels infinis qui se couchent sur le sable du grand désert.
Tu ne peux même pas imaginer ce que c’est, toi qui n’a connu que l’intimité des intérieurs trop apprêtés. Mais je veux bien te raconter…
Alors ferme ton couvercle et écoute.
Nous sommes au pied de la grande dune de Timerzouga. Imagines-toi, nous sommes loins, des hommes ont rempli ma carcasse avec un thé vert venu de Chine. Oui cela t’épate, il n’y a pas que le Thé noir.
Je suis calée entre trois pierres posées directement sur la braise. Qu’est-ce que ça bouillonne dans mon ventre.
Je tiens comme cela, comme un fakir, ne laissant pas percevoir la douleur, arborant un courage digne de ces hommes qui parcourent le grand désert sous des températures extrêmes.
J’attends pendant leur repos, le temps d’une mélodie jouée sur un Oud.
Rien n’arrête les notes, elles se perdent dans l’infini du désert .
Ici le temps ne compte pas, sauf celui imposé par la course du soleil.
Les Hommes se reposent et le mince filet de fumée qui s’échappe de mon bec rappelle que les nuits dans le désert sont très froides.
Je suis toute petite, je l’admets, mais tu t’imagines, toi, au milieu du désert avec toutes tes fioritures, tu ne ferais pas long feu, encombrante et bringuebalée en vrac dans un des sacs accroché au dromadaire.
Je suis petite et ronde et je glisse, je roule, je me blottie et je peux être de tous les voyages.
je ris car tu trouverais le voyage bien inconfortable, n’est-ce pas.
Tu ferais moins la fière !
Et puis ce n’est pas parce que je ne m’enveloppe pas d’une robe argentée, que je ne suis pas précieuse pour ceux que j’accompagne.
Je ne suis pas posée comme une potiche sur une petite nappe brodée en attendant de servir le thé.
Je suis l’objet même d’un des plus beaux rituels du désert.
L’homme bleu, celui dont le visage émerge à peine d’un turban à mille tours autour de sa tête, me saisit délicatement. Il verse le thé dans un de ces petits godets de verre, le remet sous mon couvercle, reverse en me tenant de plus en plus haut avec dextérité. Il sert le premier thé, rajoute du sucre, et c’est reparti pour un tour de Fakir sur les braises.
Ils se servent, une fois, deux fois, trois fois. Le premier thé est amer comme la vie, le second doux comme l’amour, et le dernier suave comme la mort.
Ce sont des pensées autrement plus philosophiques que des papotages autour d’une tasse de thé.
Allez, t’inquiète pas, tu ne pouvais pas savoir.
Tu sais je regrette souvent ma vie d’avant, et d’avoir atterri tout là-haut, à l’écart des autres.
Je n’ai même pas eu le droit d’avoir une place dans la vitrine avec les beaux verres.
Moi ce que je voulais c’était voir le monde au-delà des grandes dunes, je voulais juste trouver ma place.
Je me désole d’entendre son récit. Et dire que c’est parce que je suis née ici que je me croyais supérieure.
Je voudrais me rapetisser pour atteindre sa taille. Je me sens ridicule, je n’ai parcouru dans ma vie que quelques kilomètres, toujours emballée, protégée dans mes déménagements. Alors, qu’elle en a fait des efforts pour arriver jusqu’ici, au péril de sa vie.
Personne ne lui avait dit qu’elle ne serait plus regardée avec le regard profond des hommes du désert, qu’elle n’entendrait plus le Oud.
J’ai été complice d’un mépris ordinaire.
La porte claque sous la pression du vent. Chuuuut elle revient ; allez on prend la pose et on ne bouge pas.
Deux petites mains arrivent pour mélanger la farine, le sucre, les œufs et les amandes.
Pas besoin d’avoir des grandes mains pour préparer des gateaux délicieux.
On est bien d’accord la petite bleue ! Hey tu sais il y a de la place pour tout le monde.
Tiens-toi prête, car avec un peu de chance nous allons accompagner le délice en sortie de sa cuisson. Le parfum de sucre et de biscuit embaume toute la cuisine,
Nous nous tenons toutes les deux prêtes pour le service.
Les premières notes d’une musique venue d’ailleurs s’échappent, Fatma Saïd chante mélancolique « Aatini Al naya Wa Ghanni » sur les routes de sable et d’or…
Nous nous tenons toutes les deux prètes pour le service.
C’est le moment du Thé vert.
La petite bleue s’agite dans la beauté de cette mélodie.
Allez vas-y, c’est ton tour, allez !
Vive les dimanches après-midi qui font voyager. L’ennui n’est pas convié à ce goûter douillet.
Je laisse la petite bleue régaler le goûter, le soleil se couche.
Est-ce que l’homme au chien est toujours sur la ligne d’horizon ou s’est-il envolé vers un ailleurs ?
Est-ce que les hommes bleus continuent dans le silence de la nuit leur long chemin de vie entre les immenses dunes ?
Ce qui est certain, c’est qu’elle et moi nous ne serons jamais des Immobiles habitées par les parfums des thés de Monde.
A nous la liberté !
Il y a des histoires qui se prolongent par la simple magie des mots et des intentions.
Il suffit d’une boite, habillée d’un ange découpé, entouré d’un morceau de papier kraft pour créer la magie d’un voyage et du partage.
Il suffit d’une feuille de papier à lettres pour y livrer les secrets d’une recette.
Quelques pas engagés vers le royaume des timbres pour acheminer la suprise vers des petites dents gourmandes.
A eux le voyage, ils ne sont plus des Immobiles, ils vont s’acheminer en féérie, inattendus, en liberté !
Madeleine
Bon thé à l’orange, au jasmin ou à la bergamote… Le nez au vent bien sûr, même à sa fenêtre entrouverte, voici une amie de chaleureuse maison (ah ! cette mythique grande cuisine qui vous accueille tout de suite) qui me transmets tes rêveries de l’instant beauté éternel, merci encore Yolande 🙂
Isabelle
La douceur de l’amitié est la plus jolie des habitations. Merci Yolande ;o)