Au 13ème jour était apparue… l’envie de madeleines. 

Envie stoppée tout aussitôt car l’essentiel, le  moule qui devait permettre leur modelage parfait à la forme d’une coquille, avait disparu. 

Frustration d’une gourmande trop gâtée. Il faudrait attendre. 
Longtemps ? en tout cas plus de temps qu’il en aurait fallu en temps normal, à l’impatiente que je suis. 

Les ingrédients furent remballés dans leurs paquets respectifs, désolés de cette sortie éphémère à la lumière du jour, qui avait lamentablement échoué. 

Mais une histoire n’est jamais finie si la vie en décide autrement…

Elle s’est arrêtée là, devant la grille rouillée et rongée par le sel.

C’était incongru voire miraculeux, dans le silence du matin, de voir apparaître cette tache jaune de l’autre côté de ma fenêtre : la camionnette du facteur !!!

Pour qui, pour moi ? je n’y croyais pas !

L’arrivée d’un colis pour celle qui ne commande jamais sur internet est toujours source de joie. 

Il en est de même pour les lettres ; les vraies, protégées des regards dans un joli pliage que l’on appelle enveloppe. 

Déposées par une main humaine dans la boite aux lettres, elles arrivent après un long voyage, malmenées dans des sacs inconfortables. A destination d’une adresse connue, d’un numéro, d’une rue, d’une ville  ou d’un hameau, des points de géographie sur le maillage du monde. Le voyage des mots…

La pensée est magnifiée par l’écriture,  à un moment où les mots  sont tous de la même calligraphie. 
Pas de Times new roman, de Calibri ou d’Arial 10, les mots d’encre portent la personnalité de ceux qui les écrivent.

Qu’importe l’orthographe, les ratures,  les coulées d’encre, autant de signes rassurants des imperfections qui font l’individu.  

Aidées par une Marianne colorée de vert ou de rouge,  figure de proue à l’acheminement de ce voyage au long cours, les lettres précieuses arrivent. 

Pas le temps de faire le grand tour, la factrice est pressée. Le colis bien calé entre ses mains, elle s’élance, transforme l’essai et envoie d’un geste assuré le paquet par dessus bord. 

Aussitôt propulsé, aussitôt atterri et bientôt ouvert.  Elle repart en trombe dans sa camionnette jaune. 

Au mois d’avril c’est Noël ! une surprise m’attend. 

Ce colis semblait arriver de nulle part sauf de la belle intention affectueuse  d’une autre gourmande assidue, émue par la recette inachevée de  l’épisode 9… elle avait  pris soin de m’envoyer le moule tant convoité !!

Mes reines mages m’avaient comblée : l’une m’avait donné dans mon enfance l’envie de pâtisserie, la seconde confié le secret de sa recette, la troisième envoyé  le moule à coquilles marines et la quatrième m’avait déposé le précieux colis. 

Je sais, il n’y a que trois rois mages, mais qu’importe, les histoires ne connaissent pas les limites du connu. 

Tout est  enfin prêt pour la réalisation des biscuits. Je vais pouvoir avec le même élan reprendre le train de gourmandise de ma recette de madeleines qui était resté à quai !

Tous les ingrédients n’ont qu’à bien se tenir, ils vont  passer à la casserole ;  c’est parti pour la  mini boum des madeleines.  

Dans un slow langoureux, les œufs s’enrobent de sucre…j ’ai attrapé un coup d’soleil, un coup d’amour, un coup  d’je taime…. lalala…lalalère.. Avec Riccardo Cocciante, nous nous activons en cuisine. 

Le beurre fondu les a rejoints aussitôt. 

C’est la fête à la madeleine… la farine, la levure et sur « La valse des lilas », tout ce petit monde se mélange joyeusement, prêt à s’allonger langoureusement  dans le moule à majorettes.

Tant que tournera
Que tournera le temps
Jusqu’au dernier
Jusqu’au dernier Printemps…

 …Michel nous a rejoint en cuisine…                                               

Echec de la première tournée :  les madeleines un peu fainéantes n’ont pas gonflé !! 
C’est normal quand on  cuisine en écoutant des chansons de midinettes ! Les moineaux seront contents, les premières madeleines seront pour eux… si les goélands voraces restent plantés là-haut sur leur perchoir du ciel.

Prochaine tournée  je choisis de  passer sur mon tourne-disque virtuel  une chanson de Queen. 
Sur fond de Freddie Mercury  c’est certain mes madeleines vont  gonfler !! 

Bohemian Rhapsody et c’est parti ! je chante à tue-tête

If I’m not back again this time tomorrow 
Carry on, carry on 
As if nothing really matters

Victoire !! Dodus à volonté,  striés par la marque de la coquille, les biscuits atterrissent  dans le plat de faïence qui leur est destiné : avec sagesse, ils attendent  la main -et la bouche !- d’une gourmande.

La cuisine est rangée, les ustensiles remballés,  le paquet de farine regagne sa place sur l’étagère dans la boite de fer blanc marquée par l’usure de la main qui l’a saisi tant de fois. 

Dans le cadre de ma fenêtre ouverte sur le beau temps de printemps, le soleil est à son zénith. 

Le silence habille ce moment rare. Il partage le parfum de gâteaux cuits avec les reflets lumineux  sur la brique du « Chalet du phare » … la maison d’en face.

Tout est en place. Tout est à sa place, là maintenant. 

La couleur joyeuse d’une nappe, un filet  de peinture  jaune cadmium sur le bord d’un plat,  le fauteuil de « Mamie Bisou », fauteuil d’une dame inconnue acheté  dans une brocante, un coussin douillet enveloppé d’un tissu ramené du Fouta Djalon, un pull marin pour réchauffer de la brise du printemps. 

Il y a des moments simples, qu’il ne faut pas manquer et  le ballet des oiseaux marins dans leur va-et-vient d’une toiture à l’autre, rythme ces minutes où je ne fais RIEN !

Quatre lettres magnifiques : R I E N… Rêver, Imaginer, Ecrire, Naviguer avec  lenteur sur le long fleuve du temps.

Le moment est parfait pour laisser glisser hors de leur boite, les notes du « Duo des Fleurs » de Lakmé. 

Les voix enveloppantes remplacent dans le bleu du ciel les cerfs-volants et accompagnent avec génie l’apogée de ce petit morceau de printemps. 

La camionnette jaune doit continuer sa route à vive allure dans les rues désertes, personne ne fait plus attention à elle. Ici, dans le pays de l’abondance,  elle attend ses ordres pour livrer les très nombreux colis des impatients. 

Aujourd’hui c’était Noël au printemps, contenu dans  cinq  lettres magiques : MERCI