L’avantage d’être une lève tôt, c’est de profiter du spectacle des étoiles dès son réveil et de la perspective qu’elles apportent avec elles.
Celles de ce matin sont nombreuses.
Le printemps est bien là, les nuages sont partis courir loin sur les routes du ciel.
J’aurais aimé pouvoir prendre une photo de ce ciel, pour appuyer ces mots qui ne peuvent être à la
hauteur de cette magie encore nocturne.
J’aurais aimé avoir une encre de Chine ou un pinceau trempé de noir d’ivoire intense pour peindre ce
ciel admirable, d’autant que le silence accentue son effet de profondeur et d’infini.
J’aurais aimé avoir au bout d’un pinceau de martre des paillettes d’or pour fixer sur ma feuille cette
multitude de petits points lumineux.
Pour la première fois je pose ces mots « noir d’ivoire » et « pinceau de martre » et j’ai mon ciel intérieur
qui s’obscurcit à l’idée même de l’origine de cette couleur et de mon pinceau.
Qu’ai-je fait peut-être, un jour, par mon ignorance ?
Quel éléphant braconné, dont on aurait brûlé sauvagement les précieuses défenses, se cache derrière
ce « noir d’ivoire ».
Quel animal craintif s’est vu arracher des poils pour capturer au bout d’un pinceau l’aquarelle qui
couvre mes feuilles blanches.
Alors, je mets un grand coup de couleur dans mes pensées, un grand trait de jaune de Naples… et je
pense à l’Italie que j’aime tant et qui souffre.
Vite une autre couleur, l’indigo.
Oui, l’indigo profond. Ce ciel pourrait être peint d’indigo.
L’indigo d’Afrique, l’indigo des pagnes, l’indigo des ciels d’ici qui se diffuse dans les ciels de bord de mer
sur base de couleur vert d’opale.
Je profite de ce moment calme, comme tous ceux qui se succèdent avec bonheur dans ces journées
d’une nouvelle ère, pour méditer. Christophe André n’est pas loin, je l’ai découvert et il m’a réappris à
respirer. Se sentir exister, vivant, à chaque bouffée d’air.

Son CD pour motivés, mais paresseux, est joint à son livre : c’est magique.
Tellement magique que je me suis rendormie.
Deux heures plus tard la magie continue à opérer.

Elles sont là, multiples, accrochées sur la porte comme des coccinelles de lumières.
Les étoiles du petit matin auraient-elles réussi à pénétrer dans ma
chambre ?

Les petites touches de lumières sont parfaitement alignées, comme un boulier chinois qui ne compterait
que les minutes qui s’égrènent. Elle suivent le rythme du temps, glissent avec lenteur, se déplacent au
diapason du rayonnement du soleil.
Je sais qu’elles disparaîtront dans la pénombre, lorsque le soleil à son zénith dédaignera le volet de ma
chambre.
J’ouvre la porte, elles suivent mon mouvement, s’étirent comme un chat à son réveil. Elles voyagent, ces
petites taches de lumière, et partent recouvrir une marionnette birmane, deux gouaches
d’amoureux qui s’embrassent, une lance de guerrier Mossi offerte par une amie très chère.

Je me retourne, elles se sont multipliées par l’enchantement du soleil.
L’évidence de la lumière et comme l’évidence de l’eau. Tellement évidente que l’on n’y prête plus
attention. La lumière est là, tout simplement. C’est normal.
Nous oublions que la lumière est tout, la vie, la chaleur, qu’elle permet de se voir, de se reconnaître, de se
regarder. Qu’elle permet aux plantes de grandir, de se dresser, qu’elle permet aux animaux qui n’ont pas
besoin d’horloge, ni de réveil, de s’y retrouver ; qu’elle offre aux Hommes, le champ de tous les
possibles, écrire, peindre, qu’elle est tellement nécessaire que le soleil n’était plus suffisant et qu’il a fallu
créer la lumière artificielle. Tant de lumière artificielle que la nuit en oublie d’être la nuit.
On a oublié le bonheur d’attendre le jour se lever, d’adapter son rythme à celui du soleil, d’être dans la
pénombre et de retrouver l’acuité de ses sens, quand la nuit vous prend, et que la vivacité du corps ne
vous donne pas l’envie de sommeil.
On a oublié que c’est bon d’attendre la lumière.

Je la regarde, là, bien là, en touches nuancées et floues sur un coin de mur. Elle a continué son voyage.
Elle se pavane sur la parapluie de Marie-Hermence, mon autre grand-mère, celui avec une tête de chien
en ébène, sur le morceau de bâton pétrifié qui m’a sauvé la vie dans le fond d’un volcan éteint au bord de
la frontière entre l’Ethiopie et le Kenya, sur les petits nuages suspendus nés de l’imagination talentueuse
de Claire, sur le fixé sous-verre de l’île de Gorée au Sénégal, sur la carte postale de Niki de Saint Phalle et
aussi sur la plume, la grande plume d’oiseau que j’ai ramassée il y a quinze jours sur le bord de la mer, ici,
juste à côté.
Un autre jour, promis, je reviendrai vous raconter leur histoire…
Pour l’instant, je déguste cette belle lumière, miracle de tous les instants.
Il suffit de s’arrêter et de s’en imprégner pour voyager au-delà de nos chemins habituels.
La lumière est belle, oui, vraiment belle.