Le printemps continue de s’étirer dans ses nuances de bleu et de jaune.  
Toutes les  couleurs, celles des champs, des arbustes qui bourgeonnent, des  jardins qui se préparent à fleurir, celles de ceux qui s’affairent dans leur potager, me sont interdites en ce moment.  

Seul le bleu du ciel et le jaune du soleil  me narguent après des mois de pluie et de froid. 

Le printemps est là, mais il est ailleurs aussi, dans le rayon de liberté réduit  qui m’est permis. 

Mon histoire de ce jour sera courte car l’immensité de la plage qui s’étire devant moi lui suffit. 

Le soleil bien calé dans ses habitudes va disparaître pour laisser place à la nuit ; il fait froid. 

L’hiver me rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, il  était encore bien  présent. 

Le bord de mer continue  à s’habiller du plus beau des manteaux et la brise d’ici modèle en courbes discrètes  le sable qui s’échoue. 
Pas d’engin bruyant pour lisser la plage, les traces des animaux sont toujours là, bien présentes, 
discrètes et délicates. 

Ce désert naissant, éphémère aussi,  me ramène au plus beau des déserts, celui du Sahara, la Tadrart, 
au sud de l’Algérie. 


La nuit,  couchée entre les dunes, mon regard se gavait  de mille étoiles. J’essayais en vain  de reconnaître les constellations, de retrouver au milieu de tous ces scintillements, l’Ourse, la grande, 
et son petit, le lion, le scorpion et le poisson. 

Là-bas, dans l’immensité du monde, je me suis sentie être le monde dans le monde. 

Endormie sous ces animaux imaginaires qui peuplent les grands ciels étoilés, je suis entrée dans le plus beau des mondes : celui de l’immensité, sans frontière, sans limite pour les pensées et les rêves. 

Rien n’est plus précieux que ce silence, que cette sensation  de présence intense sur cette terre. 
Happée par tant de sollicitations nous en oublions la force  de ce qui se suffit à soi-même : nos sens.

Dans les nuits de ce désert,  la musique du oud d’un homme près du feu, accompagnait de douceur, sans décibels excessifs, l’attente de mon sommeil. 

Dans les nuits de ce désert,  avant de m’engouffrer dans mon sac de couchage, le dernier mot d’une amie chère pour me souhaiter bonne nuit résonnait dans le silence et prenait tout son sens. 

Dans les nuits de ce désert, le crépitement du feu, libre de s’élancer en flammèches incontrôlées,  m’apaisait et faisait s’écrouler les derniers remparts  de mes repères.

Dans les nuits de ce désert, la présence des animaux, bien réelle, se faisait discrète ; c’est uniquement au petit matin que l’on découvre les petits pas d’un scarabée ou d’un chacal venu tracer le chemin de son errance nocturne.

Dans le petit matin de ce désert, les yeux du réveil n’étaient arrêtés par aucun mur, aucune fenêtre, seules les dunes dorées par les premières lueurs du jour arrêtaient une ligne d’horizon. 

Alors apparaissait, un arbre, un buisson,  que l’on n’avait pas remarqué, nos yeux trop habitués au fourmillement d’images. 

Dans les petits matins de ce désert, l’appel des dernières braises et l’odeur du pain cuit dans le sable, 

se faisait pressant.  

Assises sur un tapis de laine coloré, en silence, pour laisser à notre réveil le temps de s’ancrer dans le jour, nous croquions à pleines dents le pain doré et toute l’immensité qui s’offrait à nous. 

Aujourd’hui j’ai retrouvé cette liberté face à ce jour qui finit, face à cette plage dessinée par le vent, grâce à cette ponctuation écrite par le passage des animaux. 

Une autre nuit me revient,  un  autre espace de liberté,  dans  le désert de Namibie. 

Pendant que j’écris ces lignes, les gnous, si l’homme  les laissent enfin tranquilles, tracent  le même chemin ancestral ;  ils n’ont qu’une seule destination, une seule préoccupation, celle du point d’eau. 

Le soleil, ici, ailleurs, dans le bout du monde, continuera toujours sa course indifférente. 
Ne pas oublier de prendre le temps, de le regarder se coucher et se lever.

Tout simplement.  

Etre enfin le monde dans le monde…