Ce matin la mer est rose. 

Un bateau de pêche, le premier depuis longtemps, a quitté la baie d’Authie. 

Il ponctue la ligne d’horizon de son tracé régulier d’écume.

Avant de l’apercevoir, je l’avais juste entendu, un vrombissement singulier dans un monde de silence. Les bruits de la mécanisation ont maintenant  disparu. 

Mon ouïe est lavée des pollutions sonores qui écrasaient d’ordinaire le chant des oiseaux.  

La mer est sonore et je perçois le bruit des vagues qui éclatent sur le bord de terre.  

Ces bruits familiers m’étaient tellement habituels que seul le silence d’aujourd’hui leur redonne une réalité. Les bruits m’étaient dissimulés, enfouis dans un ton monocorde, celui de la vie qui passe sans attention. 

Enfin, j’écoute et je ne me laisse plus distraire par la multiplicité qui sollicite à outrance mes sens.

Le petit bateau file, sa coque et ses filets luisent dans les rayons rosés de ce matin.

A peine rentrée, j’ai ouvert la grande fenêtre sur le monde. Le jour de l’envol du perroquet est venu.

Mais bien avant de partir,  il me faut raconter la belle histoire de ce perroquet vert. 

Ce n’est pas un perroquet domestiqué comme ceux que je croisais accrochés au bras de leur compagnon de chaîne près de Carthagène en Colombie. Ce n’est pas non plus un perroquet enfermé dans une luxueuse cage à oiseaux Quai de la mégisserie à Paris.  Ce perroquet vert est un livre ! 

Avant ma rencontre avec le perroquet ce fut d’abord la découverte sur l’étagère d’une bibliothèque d’un tout petit livre. Sa couverture de cuir, lisse, affichait en lettres d’or un titre étrangement beau « Alexandre Asiatique (ou l’histoire du plus grand bonheur possible) ».  
Quel titre de merveille. L’auteure : Marthe Bibesco. Ce livre me fut offert et ce présent, malgré sa petite taille, fut déclaré comme second livre  le plus précieux de ma  minuscule bibliothèque ;  le premier étant un recueil de poèmes de Rudyard Kipling offert par Tante Philo.

De livre en livre, de pensées vagabondes en recherches curieuses, je me mis en quête de son cousinage. 

Je découvris alors un livre dont le nom m’intrigua aussitôt « Le perroquet vert » .

Je pensais bien sûr à Loulou, le perroquet vert de Flaubert dans son écrit « Le cœur simple ». 
Terrible roman où la cruauté est victorieuse  de la douce et de l’humble Félicité. 

« Le perroquet vert » de Marthe devint alors le troisième livre de ma bibliothèque, mais au-delà, il prit la place convoitée de « LIVRE DES AUDACES ».  Je me décidais ainsi, à des moments clés de mon existence de l’envoyer s’envoler vers d’autres bibliothèques au gré de mes rencontres ; vers d’autres femmes amies des lettres et des couleurs. Qu’importait le contenu, les mots de Marthe, l’histoire racontée, son titre suffisait à en faire un livre voyageur.

Né de l’imagination d’une princesse russe exilée, son titre m’avait seul suffit et qu’importaient les mots qu’il contenait. 

Le premier voyage du perroquet s’est déroulé il y a très longtemps maintenant. 

Il est parti un jour rejoindre Amélie et depuis nos rendez-vous épistolaires s’accordent dans des enveloppes de cette belle couleur verte. 

Verte comme « Le rayon vert », celui d’Eric Rohmer et, bien avant, celui de Jules Verne, qui voulait nous conter que celui qui a eu la chance de l’apercevoir ne peut plus se tromper dans la perception et la sincérité des sentiments. 

Je ne désespère pas un jour de voir ce rayon vert, lors de mes balades de bord de mer, et d’avoir la chance de voir poindre, l’espace d’un instant ce point vert lumineux,  qui ne peut être observé qu’aux seuls lever et coucher de soleil au sommet de l’astre quand il apparaît ou disparaît sous l’horizon.

Vert, oui , le perroquet était lui aussi vert. 

Quelques rares spécimens de ce perroquet vert se sont ainsi envolés vers l’ailleurs au fil des années.

Ma brève rencontre avec la femme aux initiales de montagne, celle qui nous rappelle qu’il ne faut pas oublier les enfants de Syrie, la densité de son univers pictural coloré  m’incitèrent à lui envoyer  un exemplaire du livre élu.

Il se trouvait qu’elle habitait une rue au nom d’oiseau dans un lieu magique au milieu des montagnes.  C’était un signe. 

Tout était alors en place pour faire partir le volatile vers de nouvelles contrées.  

Malheureusement, ici sur mon bord de mer, je n’avais plus un seul exemplaire du perroquet vert. 

Je me mis alors, aux heures tardives de la nuit, en quête de trouver le livre rare. 

Si le dénicher fut chose facile,  cet oiseau ne pouvait voyager que par voie postale… et en ces moments compliqués, l’acheminement  n’était vraiment pas aisé. Non qu’il fût nécessaire de faire voyager le volatile dans une cage par un transporteur spécial, mais faire traverser la France à un petit livre allait s’avérer plus compliqué que je ne l’imaginais. Mais ces aventures, la quête à distance d’un exemplaire de ce perroquet, repéré dans deux librairies différentes et son envoi, allaient l’une et l’autre combler mon audace pétillante.  

L’un se ferait attendre et de cette attente allait se tisser un fil de mots entre Toulouse et mon bord de mer. De l’autre, une enveloppe rare, couverte de timbres joliment posés, allait arriver jusqu’à moi. Une photo accompagnait l’envoi,  qui se devait de me rassurer sur le lieu où vivait jusqu’à présent le fameux Perroquet. 
Je découvris qu’il avait  niché jusqu’à son départ  dans une bibliothèque élégante dédiée à la nature, en Haute-Loire près d’un cloître roman.  Quel beau lieu de départ !!! 

Et maintenant, il était arrivé !

Pas question de me précipiter, de déchiqueter l’enveloppe avec avidité pour découvrir la bestiole exotique blottie en son intérieur. 

Je voulais déguster ce moment. 

Regarder cette lettre qui avait parcouru tant de kilomètres,  pour mon plus  grand plaisir. 

Calée contre l’Ours de François Pompon, en joyeuse compagnie,  elle se devait d’attendre, de combler ma délectation, ma jubilation.

Et l’enveloppe fut ouverte ! 

Dans un papier de soie, délicatement protégé, le perroquet était bien là !

Il ne faisait aucun doute que les précédents propriétaires étaient des amoureux des livres… et de la nature.

Le titre de la collection était approprié : « Le livre de demain ». 

C’était donc décidé, le perroquet prendrait son envoi dès le lendemain pour le pays des montagnes.

Il importait de lui rendre le voyage plus confortable et le plus grand soin était de mise pour faciliter ce long voyage du Perroquet. 

Le paquet est prêt et ce matin, j’ai ouvert la grande fenêtre sur le monde. J’ai laissé s’envoler l’oiseau exotique et j’ai décidé que j’irais voir aux beaux jours d’été le cloître de Lavaudieu, là où nichait l’oiseau avant sa halte sur mon bord de mer. 

Il est parti vers d’autres contrées, d’autres yeux, d’autres mains, vers une étagère de bibliothèque où il finira sa retraite de volatile ou vers un coin de bureau qui inspirera peut-être des couleurs.   

Ce perroquet est sorti de l’anonymat, il vit sa minute de gloire. 

Le perroquet vert a pris son envol. Je crois qu’il était heureux de  la perspective de ce joli voyage migratoire vers une direction inconnue. Il est parti rejoindre le pays des couleurs, là où habite la femme dont les initiales sont des montagnes.