C’est décidé… je ne compte plus le nombre de jours de confinement.
Seule compte la suite de ces histoires que je laisse partir hors de mon sac d’imagination.
Aujourd’hui, je m’habille de rayures. Je m’habille souvent de rayures marines.
A défaut de porter un costume de marin, de revêtir la panoplie d’un matelot qui embarquerait sur un voilier en partance de navigation, mon vêtement totem est la marinière.
Je ne sais plus quand j’ai porté pour la première fois ma marinière originelle, mais ce qui est certain c’est que ce vêtement me conférait déjà l’illusion d’être en route pour l’aventure.
Il en est toujours de même aujourd’hui.
J’ai toujours aimé les rayures. Je voyais en elles non pas la contrainte d’une ligne droite à suivre, ayant toujours préféré l’errance des chemins sinueux, mais au contraire une ligne de repère, un guide, une boussole.
J’y retrouvais les rayures des lignes d’écritures posées sur une page blanche, celles des portées de notes sur un cahier de solfège, qui invitent à recevoir sur leur rectitude la concrétisation de l’expression la plus intime.
Et puis, il y a eu ce jour, de dimanche après midi, où j’ai découvert l’existence du Zèbre, de mon zèbre : Equus zebra hartmannae
Le présentateur de ce programme lui aussi portait presque le nom de cet animal : Christian ZUBER, grand reporter du monde animalier, aux allures de Ken, qui sur une musique d’Afrique du Sud, nous emmenait au bout du monde à la rencontre des animaux. « Caméra au poing » : quel programme !
Chaque dimanche, l’ORTF nous offrait un voyage en première classe au plus près de la nature.
Pas besoin de prendre l’avion, j’avais 7 ans et je n’étais plus ici mais en reportage à ses côtés, au plus près de l’observation des animaux : les vieux éléphants, celui qui charge à la fin du générique, les crocodiles géants effrayants avec leurs gueules béantes prêtes à vous avaler, les tortues des Iles Galapagos, ce qui fut pour moi l’un des épisodes les plus terribles. Filmées dans la semi-pénombre de la lune, zoom avant sur les larmes qui coulent sur leur peau granuleuse.
Elles se hissaient péniblement hors de l’eau pour pondre leurs œufs, qui à peine déposés sur le sable leur étaient arrachés dans une routine sans fin par des rapaces avides.
C’était donc cela la vie et c’était si douloureux de pondre des œufs… Bouleversée, je décidai que je ne donnerais jamais naissance. Les larmes des tortues m’avaient traumatisée à vie !
Mais il y avait aussi les paysages grandioses, les cascades qui cachent des colibris, des pirogues qui remontent des cours d’eau tumultueux et un immense respect pour les animaux et la nature.
Et il y avait les Zèbres, mon zèbre… celui qui portait mon nom !
Je me sentais appartenir à la secte des zèbres sur les traces du grand reporter animalier.
Ce zèbre portait mon nom, et je n’ai pas envisagé un seul instant que ce fusse le contraire.
Je me suis prise de passion pour cet animal étrange, inconnu d’ici, aux lignes parfaites. Je l’ai croisé en Namibie mais aussi sur une île en Ethiopie… Nous marchions derrière eux, ils n’avaient jamais été chassés, ils étaient en confiance.
Il n’y avait rien que nous et le troupeau de Zèbres. Ils m’étaient familiers et pourtant si sauvages.
Ce matin, le ciel est différent. Il est différent chaque jour , mais ce matin il est vraiment différent.
Les rayures du ciel ont disparu !
Je n’avais pas prêté attention que l’immensité du ciel avait retrouvé sa virginité des temps anciens ; de ces temps où pour rejoindre la Chine il fallait emprunter les routes de la soie pendant des mois, où le temps nécessaire au voyage nécessitait de la patience.
Ce matin, les grandes traînées des avions qui scarifient le ciel n’existent plus.
Le ciel s’est refait une beauté sur le dos de l’immobilité des Hommes.
J’ai pris souvent l’avion pour aller aux quatre coins de la planète et je n’ai jamais pris conscience que je griffais par mes voyages la pureté du ciel qui nous protège.
Je n’ai jamais perçu le ciel comme une piste gelée, rayée par des milliers de patineurs en voyage d’affaire ou en tourisme boulimique ; pas plus que je n’ai eu cette impression que je pénétrais dans un espace à respecter. Le ciel était vide, seulement vide et l’emprunter préservait la terre ferme,
Ce matin, je n’aime plus les rayures sauf celles de mon Zèbre. Je revois ces deux Zèbres du grand lac Chamo. Sont-ils habités par les esprits de Maryse et Christian Zuber ?
J’aimerais le croire, comme Karen Blixen l’imaginait du grand lion de la ferme africaine, quand Denys Finch Hatton lui manquait.