Il ne faut pas se fier aux apparences de l’immense ciel bleu sur fond de sable blanc… il fait FROID. 

Le vent comme souvent souffle par sifflement et glace les os. Il fait bleu, blanc et bientôt rouge, couleur de mon nez qui va se teinter par la réverbération du soleil sur mes lunettes

Même les traces des animaux ont disparu. 

Il fait trop blanc et trop froid pour traîner. 

En mai, fais ce qu’il te plaît… nous sommes en avril et je ne suis vraiment pas prête à me découvrir d’un fil. 

La fine lame de l’épée d’azur trace  sa percée vers la ville. Elle cisaille en deux la pureté du paysage.
Il n’y a rien pour arrêter le regard sur l’étendue de sucre glace, ou plutôt de poudre d’amande. 

Le dimanche après midi le monde est divisé en deux. 

Ceux qui restent au chaud en famille et ceux qui s’échappent dehors : les solitaires et les couples. Il y a l’heure pour les chiens, l’heure des sportifs, l’heure pour personne (tôt le matin). Là nous sommes à l’heure pour les couples. 

Il y a ceux qui se tiennent à distance, ceux qui ont des polaires Quechua assorties, ceux qui se parlent et qui ne se regardent plus,  ceux qui sont ailleurs, ceux qui se promènent accrochés à leurs habitudes… et il y a ces deux-là.

Ils avancent d’un pas lent, posé, élégant. Ils glissent tel un couple de patineurs parfaitement  préparés pour  la glace olympique. Ils parlent, marquent des pauses pour se regarder ; des regards en ponctuation de leur conversation.   

Ils sont tout simplement BEAUX.

La fluidité et l’élégance de leur déplacement pourraient être l’amorce d’une calligraphie heureuse d’Hassan Massoudy. Pour ces deux là, pas de polaires difformes aux couleurs voyantes, ni de bermuda et petit pull à crocodile. Une tenue de gentleman de bord de mer surmontée pour l’un d’une jolie casquette de tweed et pour le second d’un chapeau feutre. 

Ils avancent d’un même pas, un pas autonome et cadencé  par une posture respectueuse l’un envers l’autre. Leurs deux silhouettes associées dans cette promenade  forment le H  de l’harmonie.Aucune dissonance, mais bien au contraire, le rythme de leur pas fait résonner l’entente et l’échange de leur regards la complicité.

Je ralentis le pas, les laisse me dépasser, s’éloigner.

Dans l’ombre de leurs vestes, leurs mains apparaissent en discrétion. Elles se tiennent, délicatement.  Leurs doigts s’entrecroisent, mêlés et non emmêlés. Je reste à distance avec ma boîte à images  pour laisser à leur intimité ce rapprochement tendre et bouleversant qui n’appartient qu’à eux seuls.  

Je me retourne, deux enfants  s’approchent. Ce n’est pas difficile de les entendre, car le silence n’est complété que par le bruissement du vent dans mes oreilles.  

Une fillette porte sur son dos un drôle de chargement, un paquet qui gesticule, qui se cramponne, qui s’agrippe avec ténacité : son petit frère qui n’est pas près de lâcher sa  position confortable. 

Le dromadaire à couette me dépasse, à grandes petites enjambées et leurs cris d’enfants se perdent aussitôt entre sable et vent. 

Je  continue mon chemin dans mes pensées à propos de ce couple, Monsieur CASQUETTE et Monsieur CHAPEAU.

Aujourd’hui le tempo est donné, les balades se font à deux et moi je suis avec mon petit chien à mémère.

Je repère un rocher, rond, dodu,  qui sera parfait pour l’assise d’admiration du lointain. 

Un des  rochers bouge. C‘est un petit garçon lové dans l’ombre d’un rocher. 

Avec ses habits couleur de cailloux, il est en l’heureuse compagnie de son téléphone portable. 

Il tourne le dos à la mer.  

J’aimerais lui parler de l’horizon, des bateaux imaginaires qui pourraient partir à la pêche vers les hautes mers d’Islande, lui parler de la peau de l’éléphant, du lapin  violet qui sort sa tête du blockhaus,  des mouettes qui n’en peuvent plus d’attendre le retour de la baraque à frites, de la grande roue qui n’est toujours pas arrivée. 

J’aimerais lui raconter  les autres enfants croisés sur les routes du monde et  lui dire qu’au-delà de cet horizon il y a l’immensité de la terre.  

Elle impose de porter le regard haut et large et non de se recroqueviller comme une chenille sur un petit boîtier dans l’ombre d’un rocher. 

J’aimerais lui dire de courir avec la petite fille escargot qui porte son drôle de chargement sur le dos. 
Elle vient de passer devant lui et il ne l’a pas remarquée. 

Je passe mon chemin et je ne dis rien. 

Je marche vite car il fait froid et je sais aussi qu’à mon retour le vent de face glacial sera impitoyable. 

La marée est haute et j’ai envie d’aller poser mes pieds dans l’eau verte de la baie d’Authie. 
Quand je dis les pieds,  je devrais plutôt dire mes pieds en caoutchouc, résistants à toute épreuve, sauf à celle de la glissade sur roches recouvertes d’algues. 

Mais à marée haute, aucun risque d’aller poser mes pieds sur la jetée de pierres vertes qui a disparu sous les flots mouvants.

 La couleur de l’amarre des bateaux est incongrue et joyeuse dans ce paysage de camaïeux marins. 

L’eau verte s’échoue sur le bord de terre et la baie semble inoffensive  par le calme de son ressac. 

Il manque un bateau en partance, une barque colorée, un homme chargé de filets. 

A  marée haute sur les bords des mers du monde, les hommes recousent les filets,  les femmes s’activent au tri du poisson, les coups de marteaux réparent les coques, les pinceaux colmatent les morsures salines.

Où sont les pêcheurs et leurs familles ? Où sont les pêcheurs quand la mer monte ?

Les dents du peigne de châtaignier s’allongent et m’indiquent l’heure de rentrer, le sable a mis ses rayures. 

Il  est entré dans le petit trou de ma basket et alourdit ma chaussette ; j’ai hâte de sentir de nouveau le sable chaud polir mes pieds. 

Le vent du retour m’attend. Le ciel est au grand bleu, un bleu immense et  céleste pigmenté de Lapis Lazuli.
Le ciel est beau comme  le manteau de pureté d’une Vierge Marie  magnifiée sous le pinceau d’un peintre de la Renaissance.