Le troubadour est un poète solitaire… un marcheur, un cueilleur, un musicien qui diffuse sa joie de village en village … une âme vagabonde et libre au service du partage et de la beauté.
En échange d’un vers, d’un mot, de quelques notes de musique, d’une chanson rêvée ou inventée sur un chemin de campagne, les soirs de grands vents il troquera la douceur d’une nuit sous les étoiles pour l’abri d’un coin de maison. Et si le rythme de son tambourin et la douceur de sa mélodie réussissent à conquérir la maisonnée, si la poésie l’emporte, le partage du repas sera sa récompense.
Le saltimbanque est un acrobate, à grand coup de pirouettes et d’agilité, il arrache des « Waouaaaaaaaahh « et des « Ooooooohhhhhh » à l’étonnement puis à l’admiration de son public.
Rebelles, ils ne connaissent pas l’ancrage des concessions, et s’ils prennent le temps de s’arrêter au-delà d’une étape, c’est qu’ils ont trouvé le lieu en harmonie avec leur art.
Pour tous les deux, le chemin n’est pas d’errance mais d’une liberté choisie.
C’est aussi un très beau poème d’un autre troubadour, Apollinaire.
Il n’a pas encore rencontré Lou, son amour, sa folie, il n’a pas encore rencontré la Guerre.
Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises.
Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe.
Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L’ours et le singe, animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage.
Je ferme les yeux, je les entends… la musique se rapproche, les flûtes, les sourires sur la face de chacun, le bonheur d’un moment éphémère entre deux campagnes ; m’apparaissent alors les saltimbanques de Pablo, sous les touches délicates des roses et des bleus, leurs habits d’arlequin, sont le panache d’une vie de différence, d’exigence et de maîtrise.
A ces deux là, la liberté d’être fait fi des conventions, au plus grand bonheur de ceux qu’ils régalent de leurs prouesses et de leur poésie.
Le Troubadour et le Saltimbanque sont tous deux en une personne, en une équipée, actifs dans une cuisine non loin d’un moulin, non loin de notre maison.
Ce soir, le troubadour va nous régaler.
Le saltimbanque a pris un chemin de traverse. Il envoie son troubadour, besace chargée de l’harmonie des combinaisons culinaires, rejoindre nos palais.
Pour tous ceux du partage, il a fallut être inventifs, sortir des cuisines, partir à la rencontre de ceux qui, jusqu’à présent, venaient se mettre à table.
Tout était si simple avant.
Avant, il fallait prendre le chemin du moulin, à droite, au milieu du village, monter la petite route en espérant ne pas croiser plus gros que soit ; avec ma voiture escargot cela était facile.
Il fallait juste se garer, aller faire quelques pas autour du moulin, le regarder avec la nostalgie de mise, car qui peut imaginer l’activité, la poussière de farine, les chevaux chargés de sacs gonflés de blé qui peinaient à monter, les poussières blanches sur les cheveux du meunier, les toiles d’araignées dans les greniers sur lesquelles des particules de farine se déposaient comme des hirondelles au printemps.
Personne, sauf lui peut-être, qui a rêvé ce moulin, qui, en communion avec les âmes aimées des anciens meuniers, a décidé de le faire sien et d’y abriter la cuisine de ses rêves.
Le Saltimbanque était né, bien ancré sur son haut de colline, orienté au soleil couchant, la vallée de Somme à perte de vue sur un nuancier de verts somptueux et généreux.
Maintenant, le temps d’un arrêt forcé le Saltimbanque est devenu Troubadour et si la promesse est tenue, ses plats vont prendre le chemin de notre cuisine.
Nous prenons en cette fin de journée le chemin de traverse, en résistance de ne pas se contenter, continuer à se régaler dans la célébration de la vie., dans le malgré tout.
Il faut toujours remonter le chemin du moulin bordé de mûriers, s’arrêter, rêver au moulin qui s’agite de ses grandes ailes d’oiseau sous le vent, ouvrir la petite fenêtre vitrée et laisser la magie prendre place dans notre panier. Bien calés, les plats vont pouvoir voyager, dans notre roulotte improvisée.
La table est prête. Ici pas de colline, ni de marais à perte de vue. Un jardin. Ce n’est pas notre jardin mais celui des merles et des arbres qui nous accompagnent.
Le soleil de fin de journée n’est plus au printemps mais déjà à l’été.
Frida dans son pot bleu émaillé et Emile le buis nous entourent, tout comme le parfum de la menthe et de quelques « simples », sauge, thym et romarin.
Il faut commencer par l’amuse bouche qui ne va pas m’amuser.
Je n’aime pas les escargots.
Tous les escargots.
Je les adorais jusqu’au jour où mon grand-père m’a montré comment les préparer, stockés dans les bassines du bûcher.
Pour compléter ce plat de fête, il fallait par contre mélanger le beurre, l’ail et le persil, le malaxer en pommade, dans le grand saladier.
Mon dégoût de la bestiole qui offusquait tous les gourmets de ma famille, me donna aussitôt le privilège que l’on me réserva la sauce. Il fallait bien m’occuper dans mes soupirs exaspérés et boudeurs de ne pas participer au partage du festin des colimaçons.
Dès que les coquilles avaient rejoint les assiettes, le plat était tout à moi et morceaux de pains harponnés au bout de ma fourchette, telle une Kodiak, je m’en allais récupérer la sauce délicieuse dans les moindres recoins.
Mais ici nous sommes loin du lac du Der où j’ai grandi, et l’escargot n’est ni de terre, ni de sentier, ni de feuilles, il est de mer.
Pourtant rien à faire, de toute la faiblesse d’un souvenir d’enfance persistant, je renonce à ce mets annoncé au profit de celui qui aimera à s’en régaler.
La coquille a fait place à une feuille de chou délicate, le Maki est parfait.
J’attends le temps de la délectation de mon compagnon de délice, mon regard s’enfuie vers le jardin, un pic-vert grimpe le long de Mimi le prunier.
Lui aussi, l’oiseau acrobate-saltimbanque de notre jardin se délecte d’un mets à venir.
La suite est joyeuse.
Allongées sous une couverture douillette verte mousse, elles se dressent droites et fières, au garde à vous de notre gourmandise.
Je les admire dans leur prestance d’une cuisson au feu, et je suis en Toscane.
Ce ne sont plus des asperges vettes du printemps de la Baie de Somme mais des cyprès fièrement plantés sur le dos d’une colline entre Sienne et San Giminiano.
Il leur faut deux compagnons de virée. Légèrement cuits, en attente dans la transprence du verre qui les accueillis, ils attendent d’entrer en scène.
Le soleil émerge, rond derrière la colline comme dans une aquarelle de Jean-Michel Folon , rond et orangé, plein des promesses du jour, gorgé de chaleur bienveillante, rond comme le cycle parfait d’une vie rêvée et réalisée.
Nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves, et cette lignée d’asperges dans l’harmonie de ses verts est née de l’élaboration d’une recette rêvée, c’est certain.
Plantées, attendues, cueillies avec soin, respectées, elles sont aujourd’hui honorées de la patience d’une saison attendue : le printemps.
Il fallait maintenant les surprendre, les bousculer, les révéler.
L’orangé de l’œuf accompagne le coucher du soleil.
Maintenant les jours sont pleins, les cloches de l’église d’à côté virevoltent pour célébrer vingt heures.
Il reste encore quatre heures avant le jour nouveau.
Quatre heures de vie est un temps immense pour celui qui sait prendre le temps des sens.
La suite est en place.
Le pigeonneau a trouvé sa place au milieu d’herbes oubliées.
Je découvre que l’on peut se régaler d’une feuille de géranium, d’herbes sauvages cueillies d’un regard expert au gré d’une balade de début du jour.
Il faut être marcheur pour être cuisinier ; il faut être curieux, il faut savoir regarder, s’intéresser, il faut être de nouveau et toujours l’enfant émerveillé qui découvre pour la première fois le délice d’une baie offerte sans contrepartie par la nature.
Cet éveil se fait souvent dans l’accompagnement d’un grand-père ou d’une grand-mère, dans les récoltes d’un jardin, dans les sentiers de sous-bois aux parfums de champignons, dans des cuisines du dimanche, dans des partages ancestraux où l’amour pudique s’exalte au diapason de la gourmandise.
J’aime l’idée de glaner les offrandes de la nature, recueillies avec patience et passion par une cuisinière ou un cuisinier.
Ma douce amie Coco Jobard était de ces cueilleuses et son œil gourmand de petite fille avait appris auprès de son père, la science des herbes sauvages dans la nature potelée de sa Franche-Comté natale.
Il lui donna le sésame de sa collaboration à « L’herbier sauvage » de Marc Veyrat.
Chaque jour elle nous accompagne et ce soir, elle est toute proche, à nos côtés ; nous sommes assises toutes deux au bord de mon assiette parée d’herbes de la vallée ou de la baie, gorgées de l’iode de la mer, proches. Mes pensées vont auprès de Coco l’herbe sauvage et de mes cocoamies. Mais je ne connais pas le nom des herbes. Elle n’a pas eu le temps de m’apprendre.
Pour accompagner le dessert élaboré de couleurs délicates et joyeuses, mon autre âme-amie cuisinière, celle de ma grand-mère Bernadette, se doit d’être invitée au festin.
Je sors les assiettes à dessert, celles du petit chien ridicule qui se farde depuis si longtemps, cadeau de mariage de mille neuf cent trente-sept, rescapées du vaisselier de mes grand-parents.
Voilage blanc sur la visage de ma Grand-Mère, robe de mousseline sur sa silhouette de liane, Emile en uniforme, fier d’avoir séduit lors d’une permission sa belle en un seul tango ; grande nappe blanche au jardin derrière le café des tilleuls, une pièce montée élégante. Pas de danse du canard, ni de tralalalères, un mariage simple à la campagne, heureux.
Je dédaigne les assiettes japonaises aux petits papillons délicats pour accueillir le rouge de la robe de la coquette, et le pelage de la gent canine s’assortira avec les tons de la crème de chocolat fumée au foin et celui du biscuit doré.
Cette assiette tant aimée, est sans doute très éloignée de la magnifique vaisselle de grès brut du Saltimbanque. Mais aujourd’hui, dans la douceur de ce presque été, sous un ciel bleu qui n’a pas encore retrouvé ses rayures, alors que les arbres n’ont pas revêtu leur pyjama d’ombres de la nuit, le moment est doux et heureux.
Ne pas oublier, ne jamais s’économiser, s’offrir le beau, la délicatesse, le délicieux ; ne pas oublier les autres, ceux d’avant qui ont formé notre gôut à force d’affection sucrée, ne pas oublier de prendre le temps de dresser une table ou un coin de tissu posé à même l’herbe, le temps d’écouter le vent dans les arbres, d’aller sur les chemins, s’arrêter, regarder les herbes sauvages et libres. Prendre le temps de l’harmonie et, dès que cela nous est possible, prendre le chemin qui mène aux cuisines afin de se laisser porter par la gourmandise et le bien-être que procure un plat préparé avec talent par celui qui l’a rêvé.
Aujourd’hui le Troubadour est allé au-delà de ses promesses.
Il a trouvé refuge dans notre jardin, le jardin des merles, le temps d’une halte, avant de repartir sur les routes d’autres maisons.
Son escarcelle de baladin chargée de saveurs, un petit sac empli d’herbes sauvages, il rêve déjà avec ses compagnons de voyage, à la poésie d’une prochaine recette à offrir en partage.
Le menu « L’enfermé » de Sébastien Porquet
Chef du Saltimbanque :
1500 rue du 8 mai
Lieu dit du Moulin
80580 Eaucourt-sur-Somme
Maki d’Escargot du Marquenterre de Dominique, Chou et Blette de Guillaume à Limeux, Jus de Viande
Œuf de Plein Air Parfait, Asperges Bio de Clothilde Grillées, Crème d’Herbes
Pigeon de Philippe Bègue, Cuit sur le Coffre, Cuisse Confite, Compotée de Choux, Navet Primeur de Stéphane et oignons nouveaux de Clothilde
Crémeux à la crème fermière du Coudroy au Chocolat Fumé au Foin, Fraises de la ferme du muret à Quend.
Pour réserver : Téléphone : 03 22 27 08 94
Réservations :zenchef.com
Commande :boutique-lesaltimbanque-aubergedumoulin.fr
Menou
Merci de faire vivre notre Coco dans la douceur de tes images
dans le tendre charme de tes écrits !